Chacun de nous a vécu les mesures sanitaires de façon différente depuis mars 2019. Certains les ont vécues avec sérénité, pendant que d'autres les vivaient dans une certaine solitude, sinon carrément dans l'isolement. Quoiqu'il en soit, ce fut pour plusieurs, une redécouverte ou même, une découverte, de l'importance de l'autre et de notre relation avec l'autre. Ce genre de chose extrêmement précieuse dont on ne mesure vraiment la valeur que lorsque qu'on la perd...
Ainsi, il y a ceux et celles qui se sont retrouvés coincés dans une relation toxique, avec peu ou pas de recours vers qui se tourner. Nous savons maintenant que le taux de détresse psychologique et de suicides a dramatiquement augmenté. Fermetures d'entreprises, pertes d'emplois, relations brisées.
Je pense aussi aux personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie qui ont vu leur addiction prendre de proportions destructrices. Une grande partie de la population vit dans la méfiance, laissant la peur prendre le contrôle de leur vie.
Malgré tout, nous persévérons à offrir à l'autre, un visage qui cache ce que nous vivons et ressentons vraiment. Chacun préoccupé par soi-même, prête peu d'attention à ce que l'autre exprime ou vit. Réciproquement, quand je m'adresse à l'autre, souvent la contre-partie commence par: "Ah, moi aussi" et l'autre enchaîne avec un discours centré sur lui-même car il n'a porté aucune attention à ce que je lui partageais. Je tombe souvent dans le piège du "Ah, moi aussi", sans égards à ce que l'autre vit. Pas étonnant aujourd'hui, que les communications soient rendues aussi superficielles. Se révéler devient hasardeux, l'écoute et l'ouverture à l'autre sont en confinement...
Pour plusieurs, aller vers l'autre est trop difficile. L'isolement semble plus sûr, moins à risque d'être déçu. La capacité de sortir de sa coquille n'est pas donné à tout le monde. Marcher les yeux fixés au sol est devenu la norme pour plusieurs...
Envahi par la peur d'être contaminé ou malade, ou même rejeté, on s'éloigne et on s'isole. Mais un
sourire, même avec la bouche masquée, un regard bienveillant, une écoute attentive, un intérêt sincère pour l'autre n'ont jamais contaminé qui que ce soit.
C'est pourquoi aujourd'hui je vous propose le magnifique texte que Charles Carroll Finn a publié dans les années soixante et qui n'a jamais été aussi actuel. Charles nous rappelle par son texte, toute la différence que nous pouvons faire dans le vie les uns des autres.
Puissiez-vous y trouver aujourd'hui, une inspiration pour vous et pour l'autre que vous côtoyez au quotidien.
Pierre Eugène Rioux, psychosociologue
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Écoute ce que je ne te dis pas, je t'en prie
Ne te laisse pas tromper par moi. Ne te laisse pas tromper par le visage que je porte, car je porte un masque, mille masques, masques que j'ai peur d'enlever, et je ne suis aucun d'entre eux.
Faire semblant est un art qui est une seconde nature pour moi, mais ne sois pas dupe, pour l'amour de Dieu, ne sois pas dupe. Je te donne l'impression que je suis sûr, que tout est bien et sans problème avec moi, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, que je suis la confiance même et que je plane au-dessus de tout, que l'eau est calme et que je suis bien aux commandes et que j'ai besoin de personne, mais ne me crois pas. A la surface, je suis lisse et sans faille, mais ce n'est que mon masque, toujours différent et toujours caché. En dessous, il n'y a aucune complaisance. En dessous résident la confusion, la peur et la solitude. Mais je les cache. Je ne veux pas que quiconque le sache. Je panique à l'idée que ma faiblesse soit exposée. C'est pourquoi, je crée avec frénésie un masque pour me cacher derrière, une façade nonchalante et sophistiquée, pour m'aider à faire semblant, pour me protéger des regards qui savent.
Mais ce regard est précisément mon salut, mon seul espoir, et je le sais. S'il est suivi par l'acceptation, et s'il est suivi par l'amour. C'est la seule chose qui puisse me libérer de moi-même, des murs de la prison que j'ai érigés moi-même, des barrières que j'ai dressées avec tant d'efforts. C'est la seule chose qui puisse m'assurer de ce que je ne peux m'assurer par moi-même, que j'ai vraiment une valeur. Mais je ne te le dis pas. Je n'ose pas, j'ai peur de le faire. J'ai peur que ton regard ne soit pas suivi d'acceptation, ne soit pas suivi d'amour. J'ai peur que tu penses moins de moi, que tu ries et tes rires me tueraient. J'ai peur, qu'au fond, je ne sois rien, que tu le voies et me rejettes.
Donc, je joue mon jeu, un jeu désespéré à faire semblant, portant sans assurance une façade et un enfant tremblotant à l'intérieur. C'est ainsi que débute la belle, mais irréelle parade des masques, et ma vie devient une façade. Je bavarde avec toi de manière suave de sujets éphémères. Je te dis tout de rien, et rien de ce qui est tout, de ce qui pleure à l'intérieur de moi. Alors, quand je passe à travers mon scénario ne te laisse pas berner par cette sérénade. S'il te plaît, essaye d'écouter attentivement et écoute ce que je ne te dis pas, ce que j'aimerais être capable de te dire, ce que j'ai besoin de te dire pour survivre, mais ce que je ne peux dire.
Je n'aime pas me cacher. Je n'aime pas jouer les jeux superficiels. Je veux arrêter de jouer. Je veux être authentique, spontané et moi-même, mais tu dois m'aider. Tu dois me tendre la main même si c'est la dernière chose que je semble vouloir. Tu es la seule personne qui puisse effacer de mes yeux le regard vide d'un mort vivant. Tu es la seule personne qui puisse m'inviter à la vie. Chaque fois que tu es aimable, doux et encourageant, chaque fois que tu essaies de comprendre parce que tu portes attention, mon coeur commence à avoir des ailes qui poussent - de très petites ailes, de très faibles ailes, mais des ailes !
Avec ton pouvoir de toucher et de me faire sentir, tu peux m'insuffler la vie. Je veux que tu le saches. Je veux que tu saches combien tu es une personne importante pour moi, comment tu peux être un créateur - un créateur fidèle à Dieu - de la personne que je suis si tu le choisis. Tu peux m'aider à briser le mur derrière lequel je tremble, tu peux m'aider à enlever mon masque, tu peux m'aider à me libérer de mon monde ombragé par la panique, de ma prison solitaire, si tu le choisis. S'il te plaît, choisis-le.
Ne passe pas à côté de moi. Ça ne sera pas facile pour toi. Plusieurs années à croire que je ne vaux rien ont érigé des murs très solides. Plus tu approches de moi plus je peux combattre aveuglément. C'est irrationnel, mais en dépit de ce que les livres disent sur l'homme, je suis souvent irrationnel. Je lutte précisément contre la chose dont j'ai besoin. Mais on dit que l'amour est plus fort que les murs et c'est là que réside mon espoir. S'il te plaît, essaye de m'aider à briser mes murs avec une main ferme, mais douce, car un enfant, c'est très sensible.
Qui suis-je, tu te demandes peut-être ? Je suis quelqu'un que tu connais très bien. Car je suis chaque homme que tu rencontres et je suis chaque femme que tu rencontres.